Avant, les "galériens" étaient condamnés à souffrir en ramant sur un navire pour payer leurs crimes. Aujourd’hui, A Villejean, la galère est une situation économique et sociale difficile à surmonter. Je n’ai peut être que 13 ans, mais je vois déjà où ça mène...
Différents visages
La galère est matérielle, elle est différente pour tous. Pour mes potes ,c’est galérer à acheter quelque chose, comme une « Dirt 125 » (une petite moto). Mais pour ma sœur c’est différent. Galérer c’est avoir un travail pénible. Ma mère voit la galère différemment. Pour elle, c’est quand les gens sont dans une situation difficile. La galère peut aussi être psychologique, lorsqu’on souffre par exemple du sentiment de solitude : ne pas avoir d’amis fait galérer. Mes potes qui veulent des trucs, ma sœur qui est triste au travail, ma mère qui s’en fait pour les autres : chacun à sa manière, tout le monde galère.
C’est un cercle vicieux, un enchaînement de causes et d’effets qui s’aggravent mutuellement. Lorsque tu vis une situation difficile, tu ne vas pas être motivé pour sortir de ton trou parce que ton estime de toi est diminuée. Ta situation empire, ta motivation diminue et ton estime de toi, comme ta confiance que les choses peuvent encore changer, s’effondrent encore : à l’école quand on n’arrive plus à suivre les cours, on bavarde, on chahute, on se fait virer. On affronte une spirale qui nous fait couler, avec peu d’espoir d’en sortir car, à moins d’une intervention extérieure, le cercle vicieux de la galère entraîne une fin inévitable.
Une question de sexe
La galère est différente pour les hommes et les femmes. Quand les femmes sont en galère, elles ne sortent pas de chez elles, restent seules à la maison et peuvent tomber enceinte plus tôt. Quand les hommes sont en galère ils vont plus facilement avoir des embrouilles ou des problèmes de drogues et de violence dans la rue. Par exemple, un grand du quartier de Villejean qui dealait sur des « 9h-minuit » a eu des disputes de terrain et il s’est pris un coup de couteau ! Il est resté deux semaines à l’hôpital et il a encore une cicatrice. Mais malgré la blessure et la peur, il n’a pas vraiment le choix : il doit y retourner. Autre exemple. Je connais une petite fille de 14 ans qui s’est prostituée en s’inscrivant sur un site en ligne. Elle est contente parce qu’elle a l’impression de gagner beaucoup d’argent mais sa mère s’inquiète pour elle. Elle la cherche sur la dalle et sur les réseaux pour qu’elle arrête de se prostituer. Ça... c’est les conséquences de la galère.
Les galères, qu’elles soient psychologiques ou matérielles, sont vues différemment selon notre situation. Ce qui est sûr, c’est que la galère, c’est un engrenage. Quand on est rentré dedans c’est très difficile d’en sortir. Si t’es un homme tu peux tomber dans le trafic de drogue et si t’es une femme tu peux tomber enceinte ou bien te prostituer. Pour les hommes la galère, c’est l’argent, pour les femmes, c’est le sexe. En sortir, c’est pas si simple que vous le pensez. Le mieux, peut être c’est de ne pas y tomber. Quand on grandit à Villejean, y’a pas beaucoup de choix, à part l’école (on galère aussi en classe car l’école c’est pas évident pour tous) et le trafic, y’a pas beaucoup de marge pour espérer autre chose.
Sylvano PAISSI
Republication d'un article de l'année 2020
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