Si l’attention de nos médias semblent s’être détournées de cette zone du globe, la situation quotidienne au Nigéria est loin de s’être apaisée. Souvenez vous la secte avait cristallisée toute les attentions lorsque ses membres avaient enlevés 276 lycéennes à Chibok pour les vendre en esclavage le 14 avril 2014. Un acte inhumain qui avait fait prendre conscience à nombres de personnes la gravité de la situation sur place. Pourtant malgré notre conscience de la cruauté de leurs actes nous en savons au final très peu sur Boko Haram et leurs membres. Il est temps de faire un bond dans le passé pour tenter de comprendre comment s’est formé ce mouvement terroriste si dangereux pour l’intégrité humaine. Une autre vision du terrorisme nous permettra peut être de mieux appréhender cette menace à l’avenir pour, qui sait, à terme, la faire disparaître.
Une situation politique déplorable
Avant de s’attaquer à Boko Haram il convient de remettre les choses dans leur contexte. Le Nigéria est un pays d’Afrique de l’ouest à majorité musulmane. Il a longtemps été une colonie britannique avant de devenir indépendant en 1960. Ce colonialisme y a laissé des traces que l’avènement de la démocratie en 1999 n’as pas effacé. Ce colonialisme a eu pour conséquence un pays coupé en deux entre une partie nord à majorité musulmane et très pauvre et une partie sud plutôt chrétienne et qui possède la majorité des ressources naturels du pays en son sol . Cela amène à un fort sentiment d’injustice et à un rejet de la culture occidentale et du christianisme de la population nordique.
De plus ces populations pauvres ont le sentiment que les dirigeants et hauts dignitaires sont tous corrompues. Il faut dire que, pour le pays le plus riche d’Afrique, les richesses sont très mal réparties (plus de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté). Ajoutez a cela la chute du communisme et des différents mouvements socialistes dans les années 90, et vous comprenez aisément ce qui a poussé ces habitants à se tourner vers un des derniers espoirs qui leurs restaient : la religion. Ainsi naquirent dans les années 70 les premiers mouvements politico-religieux du pays avec pour but premier le retour à une application rigoriste (c’est a dire très stricte) de la charia (qui fut à la base du droit dans ce pays pendant le moyen age et la renaissance).
L’avènement d’un homme : Mohammed Youssouf
On est en 2002. Au commencement un homme. Il est encore jeune (32 ans) et il est extrêmement charismatique. Il s’appelle Mohammed Youssouf, c’est un prêcheur de la ville de Maidougouri, dans le Nord-Est du pays. Comme la plupart des gens autour de lui, il est déçu de ce qu’il voit et est convaincue qu’une application stricte de la charia permettrait d’améliorer beaucoup de choses. Mais lui, à contrario de ses compatriotes, est un excellent orateur. Lors de ses prêches engagés et parfois virulent il dénonce. Il dénonce les politiciens corrompues et manipulateurs, il dénonce les mécréants qui se sont enrichies sur le dos des autres, il dénonce l’occident, son colonialisme, et ses mœurs en perdition. Et ça plaît! Fort de son succès il va créer Boko Haram qui est au départ une idéologie ou pour certains un mouvement sectaire. Il va même fonder un an plus tard en 2003 à Maidougouri une école islamiste pour inculquer à ses adeptes la culture et le savoir salafiste. L’évêque Naga Mohamed nous explique que Boko Haram signifie dans l’idée que la civilisation occidentale est à bout.
Il s’agit donc d’un mouvement anti-occidentale qui va rejeter des principes tel que la démocratie, la parité homme-femme ou encore l’égalité entre Musulmans et Non-Musulmans. Pour Marc Antoine Pérousse, chercheur en histoire, ce mouvement a tout pour plaire à cette population en lui promettant un utopique état islamique qui entraînerais une fin de la corruption et une plus égale répartition des richesses. Selon Adam Muhammad Ajiri le plus grand succès(/echos) de la secte se trouve vis à vis de la jeunesse. Car si fort logiquement de nombreux démunis ont soutenus le mouvement, nombre de jeunes diplômés ou étudiants nigérians de grandes écoles européennes et américaines ont fait le choix de tout laisser tomber pour rentrer défendre cette cause. L’influence de Mohammed Youssouf va très vite s’étendre au-delà des frontières de l’état du Borno (région ou se situe la ville de Maidougouri), il deviendra même aux yeux de certains, venus assister à ses prêches sans le soutenir, une attraction.
2009 : Le tournant
En 2009 le gouverneur de l’état du Borno s’appelle Ali Modu Sheriff. C’est un richissime politicien local. Voyant le poids politique de Youssouf il décide en période électoral de lui proposer une alliance en lui promettant un retour à la charia s’il était élu. Sans pour autant militer pour lui, Mohammed Youssouf dont la base idéologique était l’anti-gouvernementale, n’interdit pas à ses militants d’aller voter si c’est pour Ali Modu Sheriff. Cela devait lui permettre en théorie d’être plus tranquille vis à vis du gouvernement selon Marc Antoine Pérousse. Au final Ali Modu Sheriff, une fois élu, ne tient pas parole. Mohammed Youssouf se sent trahis et, sans le citer directement, conspu publiquement ces politiciens qui « une fois au pouvoir font des promesses, mais n’ont pas de pitié» et déclara qu’on ne peut « avoir de bonnes relations avec eux » car ils ne tiennent pas leurs promesses.
Le discours du très soutenu Youssouf devenait de plus en plus menaçant pour le gouvernement. Tout en appelant au calme et à la loyauté, il prévient ses disciples que l’heure du djihad approche. Il est arrête courant de l’année puis relâché peu de temps après et est accueilli par une foule en liesse. Le point de non retour avait été atteint. Les adeptes de Boko Haram, jusqu’ici très pacifiques, commencent à désobéir de manière de plus en plus récurrente à un gouvernement qu’ils jugent désormais illégitime. Ce dernier décide de répondre de manière dur et, selon un ancien soutien de Boko Haram, profite d’une loi sur le port obligatoire du casque normalement très peu appliquée pour tirer et tuer des membres de la secte qui rentraient à moto d’un enterrement sans casques.
Youssouf jure sur Allah qu’ils sont des menteurs et des meurtriers et monte ses adeptes contre les forces de l’ordre. S’il restait malgré tout mesuré dans ses actions une partie plus radicale du mouvement voulu agir de suite et faire le djihad a Maidougouri. La ville fut prise en otage et saccagée par cette aile radicale. L’armée intervint dans la foulée (quelques semaines plus tard), tirant sur tout ce qui bougeait. Plus d’un millier de personnes furent tués dont beaucoup de civils. Mohammed Youssouf fini par être arrêté le 30 juillet 2009 et abattu quelques heures plus tard dans la rue sans jugement, sur ordre du gouvernement. C’était la fin du leadeur de Boko Haram.
L’après Mohammed Youssouf
Malgré ses paroles parfois véhémentes Youssouf était un leadeur plutôt pacifique ouvert à la discussion. Sa mort désorganisa le groupe et engendra une montée en puissance des actions violentes, il n’y avait plus personne pour empêcher les débordements des membres les plus extrêmes. La plupart des survivants du massacre de Maidougouri se réfugièrent au Niger et, sous l’impulsion de leur nouveau leadeur Aboubakar Cheikaou, la secte devint un mouvement terroriste fin 2010 après s’être réorganisé. Le changement fut radical. Le moyen d’action n’était plus le prêche et les rassemblements, mais bien les attentats suicides. Les cibles n’étaient plus seulement les riches et les dirigeants politiques, qui subirent d’ailleurs de nombreux attentats meurtriers, mais aussi les populations civiles du Sud coupable d’être chrétienne et de soutenir le gouvernement (selon Aboubakar Cheikaou).
D’une « noble cause » Boko Haram avait sombré dans la vengeance et le crime d’innocents. L’escalade de violence n’allait plus s’arrêter. En réponse le gouvernement envoya l’armée traquer les sectaires dans le nord. Une armée peu renseigné incapable de faire la distinction entre les civils et ses ennemis. La violence de cette dernière, coupable des pires atrocités comme le viol, décida de nombreux civils, effrayés, de rejoindre les rangs de Boko Haram, qu’ils ne soutenaient pas de base. Et de l’autre côté, lorsque le gouvernement, conscient du suicide politique réalisé par leur armée, décida de créer des milices locales pour lutter contre l’ennemi du Borno, le groupe terroriste décima des villages entiers sous prétexte qu’ils contenaient des miliciens ou des informateurs du gouvernement, et ce sans distinguer leurs ennemis des civils ,musulmans qui plus est.
Il ne resta guère que le choix entre mourir et se battre pour les pacifistes de la région. Le pays sombra dans la guerre civil et l’état d’urgence fut déclaré en 2013 lorsque la secte s’empara du Nord-Est du pays et commença à administrer des villes. Les attentats finirent par s’étendre dans les pays limitrophes (Cameroun, Tchad), lorsque ceux-ci commencèrent à prêter main forte militairement au gouvernement. Et, si le nouveau vassal de l’état islamique commence territorialement à reculer depuis 2 ans, ce conflit démarré il y a bientôt 10 ans, et à l’origine de dizaines de milliers de morts et de millions de déplacés, est encore loin d’être terminé.
Thomas PEQUIGNOT
Source principale : Arte et son documentaire Boko Haram : les dessous du mal
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