Des liens culturels tissés vers d’autres pôles d’influence
Monde Turc
L’Asie centrale est naturellement liée à la Turquie au travers de ses déterminants historiques et culturels. Lieu de conquête et de sphère d’influence turque depuis de longs siècles déjà, les peuples actuels (ouzbeks, turkmènes, kazakhs…) se sont installés en Asie Centrale à partir du XVe siècle. De cette histoire, un héritage subsiste et est aujourd’hui renouvelé.
La langue, en premier lieu, est turcique dans chacun des pays à l’exception du Tadjikistan. L’alphabet arabe a d’ailleurs été abandonné au profit de l’alphabet latin ( ou alphabet latin remanié) d’une manière similaire aux réformes post-ottomanes : en ouzbékistan, c’est l’année 1920 qui voit la fin de l’alphabet arabe dans le sillage de la pensée laïciste et occidentaliste de Mustafa Kemal.
Cependant, la religion demeure le principal lien culturel qui unit les différentes parties du monde turc. L’islam sunnite est très largement pratiqué dans chacun des pays par les populations non issues de l’immigration russe.
Kazakhstan | Kirghizistan | Ouzbékistan Tadjikistan Turkménistan |
67.1 | 86.9 | 85.1 91.2 96.1 |
La Turquie entreprend également depuis les années 1980 de former une hégémonie religieuse de tous les turcs. Le Diyanet, présidence des Affaires Religieuses internes et externes à la Turquie, s’occupe des activités islamiques, éclaire la société sur des questions religieuses ou politiques et gère les lieux de cultes dans un grand nombre de pays qui comptent une diaspora turque. Avec 100 000 fonctionnaires en son sein, et un budget de 4.3 milliards de livres turques, le Diyanet est un organe majeur de la politique étrangère de la Turquie et attache d’ailleurs systématiquement un responsable religieux aux délégations diplomatiques. Comme le détaillent Galina M. Yemelianova et Egdūnas Račius dans Muslims of Post-Communist Eurasia, le Diyanet est également à l’origine de l’Avrasya Islam Sûrasi, un conseil islamique eurasiatique.
Ces organes ont mené des opérations de réparation et de construction de lieux de cultes au sein des ex-RSS, comme à Bichkek et Achgabat, mais ont aussi oeuvré à lutter idéologiquement contre les mouvements de l’Etat Islamique. Par ailleurs, des universités de formations d’imams et de théologie ont été fondés à Shymkent et Osh sur le modèle de celle de Marmara (Istanbul). De nombreuses coopérations sont d’ailleurs établies entre groupes d’influence religieuses entre l’Asie Centrale et la Turquie (Süleyman Hilmi Tunahan par exemple).
Au-delà de cette activité étatique, des entreprises turques installées en Asie centrale proposent également d’ouvrir des écoles dédiées aux jeunes enfants et calquées sur le format turc. L’appartenance à ces écoles et universités sont généralement un facteur de promotion sociale au sein de la société locale et participent généralement à la fonctionnarisation de la religion au sein du système religieux en Asie Centrale sous l’égide de la Turquie.
On notera cependant que cet interventionnisme culturel est controversé et connaît des fortunes diverses selon les régions. L'Ouzbékistan s’est ainsi formellement opposé à toute intrusion étrangère qui pourrait dénaturer sa propre vision de la religion islamique.
Des influences religieuses existent également en provenance de l'Iran chiite ou du sous-continent indien. Cette influence naturelle (le tadjik est une langue perse e.g.) demeure relativement limité en dehors des écoles peu influentes de théologie.
Influence chinoise
Si l’influence chinoise est indéniable sur le plan économique, comme cela sera détaillé plus avant, les échanges culturels demeurent très limités menant certains auteurs à évoquer une divergence civilisationnelle.
Cela peut en partie s’expliquer par la peur de voir l’expansionnisme économique chinois s’implanter si profondément en Asie Centrale que cela pourrait dénaturer la culture locale. Cette crainte est également largement alimentée par la concurrence dont souffrent certains secteurs de l’économie. Par ailleurs, d’un point de vue réellement culturel, les peuples turcs d’Asie centrale compatissent aux politiques vexatoires que subissent les ouïghours au Xinjiang, qui sont de même origine culturelle. Enfin, peu de déterminants communs unissent chinois et populations d’Asie Centrale.
Influence occidentale
L’influence de l’occident est sans nul doute la plus contre-intuitive d’un point de vue géographique (aucune frontière commune) et culturelle (divergence de religion, d’idéologie politique…). Néanmoins, l’Asie Centrale poursuit un timide rapprochement avec l’occident d’un point de vue culturel.
Si l’on a déjà évoqué la question de l’alphabet latin aujourd’hui largement adopté, les langues européennes (au premier rang desquelles l’anglais) sont un vecteur important de la culture occidentale. Si une minorité d’indigènes ont une maîtrise courante de l’anglais (quelques pourcents), il s’agît d’un prérequis pour accéder aux emplois les mieux rémunérés et les plus valorisés socialement.
Leur apprentissage est également renforcé depuis plusieurs années dans les écoles. Dès l’âge de 10-11 ans, les enfants tadjiks doivent choisir parmi l’anglais, le français et l’allemand. On remarque que l’usage de la langue anglaise est particulièrement inégalement distribué aussi de la population puisqu'il est principalement utilisé par les urbains, jeunes et relativement aisés. Son usage est donc croissant, même s’il reste considérablement inférieur au russe. Certains communiqués administratifs, politiques peuvent également être rédigés en anglais, tout comme la publicité.
Le Turkménistan jouit d’ailleurs d’une situation particulièrement ouverte aux langues étrangères puisque la langue anglaise apparaît officiellement comme la seconde langue d’usage après le russe dans les communications inter-ethniques. A titre d’exemple, l’Institut français du Turkménistan œuvre pour la mise en valeur de la francophonie dans cette région.
Des partenariats culturels financés par les entreprises européennes sont aussi courants dans la région. Une mission archéologique d’ampleur se déroule sur le site d’Ulug Depe, financée par Bouygues et co-dirigée par la France et le Turkménistan.
Le soft-power est aussi un instrument de la culture occidentale en Asie centrale. C’est ici la culture américaine qui est la plus prégnante, et dont on trouve une diversité de manifestations.
Benjamin GUERAUD, Emile CHAPUT
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