top of page

Asie centrale : exercice de définition et analyse géopolitique part 2/4





Usages et poids culturel : la “socialisation” durable des centres-urbains



La Constitution de 1936 a donné aux grandes nations d’Asie centrale leur propre “RSS” au sein de la fédération. La reconnaissance de très nombreux groupes ethniques “officiels” va consolider l’idée d’Etats nations pour les cinq Etats. 


Depuis 1991, la plupart des langues nationales ont obtenu une reconnaissance constitutionnelle dans leur Etat respectif. En conséquence, leur usage dans la sphère médiatique locale, à l’école et dans l’édition a augmenté fortement. Un autre facteur de “renationalisation” de la sphère linguistique est l’exode urbain : de nombreux ruraux et leur bagage linguistique traditionnel ont peuplé les villes. 


Tandis qu’au Kazakhstan et en Ouzbékistan, la question linguistique n’a pas été débattue (régimes autoritaires), au Kirghizistan elle a été mêlée aux luttes entre clans pour le pouvoir. 

Il faut noter que dans tous les pays, le russe conserve une place de choix dans les espaces médiatiques et universitaires. La préférence pour les écoles de langue russe se maintient. 

Enfin, dans certains centres urbains, en particulier au Kazakhstan, les Russes ethniques pèsent fortement dans la démographie (28.6% à Almaty). 


Les migrations liées au travail (Tadjikistan, Ouzbékistan, Kirghizistan) maintiennent les populations d’Asie Centrale à une exposition soutenue à la langue russe depuis les années 1980. Les populations émigrées subissent une certaine entrave vis-à-vis de leur intégration à la population russe locale. Leurs emplois sont souvent informels et n’incitent pas à nouer des relations, ils font l’objet d’une discrimination sociale… 


Cependant, l’aspect massif de l’immigration (qui concerne jusqu’à un tiers des kirghizes en âge de travailler) ainsi que le découragement de l’entre-soi œuvre en faveur de la généralisation des habitudes culturelles russes chez les populations émigrées et leur rapprochement de facto des locaux. 


Le retour des migrants renforce encore la présence de la culture russe sur le territoire de l’Asie centrale, mais augmente également la distinction entre un espace urbain largement russe et une ruralité ancrée dans la culture locale. Au-delà des flux humains, l’information, les biens circulent avec le russe. En particulier, l’Union économique eurasiatique qui lie Russie, Kazakhstan, Kirghizistan, utilise le russe comme vecteur de communication. 


En somme, le russe comme lingua franca se maintient et pourrait trouver une certaine durabilité au-travers de l’absence de rejet du colonialisme soviétique. Au cœur de l’Asie Centrale, les populations locales connaissent de fortes migrations internes depuis les campagnes vers les villes sous l’effet de difficiles conditions de vie socio-économiques héritées de l’URSS.


En dépit des divergences culturelles originelles, les ruraux adoptent dans leur majorité la culture locale dans un but d’assimilation et d'ascension sociale. En parallèle de cette expansion de l’usage du russe, cette migration contribue tout de même à l’apparition d’un espace de contestation culturelle. Sous l’effet de cette confrontation, se développe une peur des citadins de voir leur culture russe assimilée dans un magma campagnard local. 

Le dédain qui en découle se traduit par exemple par “kharypy”.


L’implantation de Russes ethniques en masse dans les centres urbains s’est faite principalement pendant les 70 années de régime soviétique. Il est notable qu’une des constantes du régime ait été la valorisation de la vie culturelle : théâtre, librairies, cirques, installations sportives largement subventionnées sont légions dans les villes de pouvoir. 

Par conséquent, une assimilation de la langue russe aux politiques publiques culturelles est aisée ; de plus, celles-ci étaient généralement en russe. 


Avec l’essor démographique du groupe ethnique national, les habitants des anciennes grandes villes du Kazakhstan soviétique ont parfois un sentiment de rejet face à l’arrivée des Khazakh ruraux et la disparition de la “culture” comme entendue à l’époque communiste. C’est en tout cas ce que concluent à l’aide d’entretiens Natalya Kosmarskaya et Artyom Kosmarski dans “‘Russian culture’ in Central Asia as a Transethnic Phenomenon”. Le phénomène est partagé au Kirghizistan par des habitants de Bichkek. 


David Abramson, dans une étude ethnographique de 1991 à Kokand et Tashkent, note le rejet des migrants ruraux par les urbains de longue date “européanisés”. Les différences dans les mœurs (alcool, fête, habits pour les jeunes femmes) sont prononcées. Les personnes interrogées se définissent comme des “produits du système socialiste” pour expliquer l’écart avec la culture traditionnelle. Pourtant, il apparaît (en particulier à un lecteur européen) que ces différences ne sont pas du tout spécifiques aux normes de société soviétiques (plutôt conservatrices après les années 1920). De même, ce qui est rejeté des ruraux “ethniques” ne s’apparente pas à la culture Ouzbèke (cracher, uriner en public, non-respect du trafic…). 



Tous ces phénomènes contribuent à l’assimilation entre les notions de culture russe et celle de “culture” des centres urbains, en opposition à la culture nationale. 



Benjamin GUERAUD, Emile CHAPUT





Comments


bottom of page