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Asie centrale : exercice de définition et analyse géopolitique part 1/4




Depuis la France, l’Asie centrale post-soviétique peut apparaître comme une région relativement hermétique à l’Europe occidentale (si ce n’est à “l’Occident”). La barrière linguistique, la faiblesse des liens culturels avec nos pays, le manque de touristes en provenance de et vers la région, l’absence de liaison commerciale majeure maritime (pas de mers chaudes) peuvent expliquer la méconnaissance d’une partie de l’ex-URSS comparativement à d’autres (la Transcaucasie avec l’Arménie et les liens migratoires, les pays Baltes et les pays est-slaves grâce aux relations européennes…). Mais surtout, l’impression d’un bloc homogène sur la scène internationale, proche du “grand-frère” russe avec l’idée (fausse) de pays plus ou moins satellitaires, obéissants sur le plan diplomatique et économique. 



Pourtant, les relations entre le géant démographique et les 5 républiques musulmanes sont très hétérogènes, variables, et habitées par les conflits de tout ordre (excepté militaire…sauf entre elles). Le poids indéniable, ancré dans le paysage économique et culturel du passé commun entre en choc avec les velléités d’autonomie linguistiques et commerciales. Les motivations, pas seulement nationalistes, sont souvent les divergences d’intérêts entre la Russie qui voit un intérêt à conserver des périphéries et des nations qui ne bénéficient pas toujours de cet héritage. Mais 40 ans ont passé et on ne peut parler d’un état fixe des rapports internationaux. Nous chercherons à étayer et expliquer la recomposition des relations des anciennes RSS d’Asie centrale, avec la Russie mais aussi entre elles, au regard de la culture au sens large, de l’économie et des relations diplomatiques. 




Culture et langue : une lente renationalisation, entre pressions légales, habitudes et influences turques 



État des lieux linguistiques 


Pays 

Russe 

Langue 

Officielle

Alphabet 

Part de locuteurs (millions et %) 

Origine 

Langue

Part de 

russo 

phones 

(restreint)

Kazakhstan 

OUI 

Cyrillique* 

12 58.1% (+22)

Turcique 

88%

Ouzbékistan 


Latin 

(1992)

55 83.8% 

Turcique 

2.3%

Turkménistan 


Latin 

(1993)

6.5 77% 

Turcique 

2.7%

Kirghizistan 

OUI

Cyrillique 

4.3 71%

Turcique 

43.5%


Tadjikistan 


Cyrillique 

7.5 64% 

Farsi

0.2%

* bascule vers latin en 2025 


Un bref état des lieux linguistiques accompagné d’une courte revue historique de l’évolution de la pratique conjointe du russe et des langues vernaculaires d’Asie centrale peut introduire avec efficacité à la relative prise d’autonomie culturelle de ces pays. 



De la prise d’indépendance… 


A la chute de l’URSS, nombre d’observateurs voyaient les ex-républiques socialistes soviétiques sortir rapidement du giron russe. Cette émancipation a été immédiatement favorisée par l’arrivée au pouvoir de chefs d'État autoritaires tels que Karimov en Ouzbékistan ou Niazov au Turkménistan. Cet autoritarisme s’est parfois accompagné d’une volonté d’autonomie dont la langue est l’incarnation majeure. 


Au tournant des années 1990, un phénomène de reconnaissance constitutionnelle de la langue vernaculaire s’effectue donc en Asie Centrale, alors même que l’URSS est encore en vigueur. (cf. Art. 1 § 1 Loi sur la langue de la RSS du Turkménistan, 1990) Il s’ensuit alors une cohabitation entre le russe et la langue locale qui peut avoir perduré jusqu’à nos jours (Kazakhstan, Kirghizistan). A l’inverse, le turkmène devient unique langue officielle en 1994 et l’ouzbek en 1995. 


Au-delà de l’aspect très politique mais peu ancré dans la réalité linguistique de la langue officielle, l’alphabet a aussi subi une transformation majeure. En Ouzbékistan et au Turkménistan, l’alphabet cyrillique (imposé par Staline pour étendre l’hégémonie soviétique) est abandonné au profit de l’alphabet latin en 1992 et 1993 respectivement. 


Cette modification a bien sûr un impact immédiat, non seulement dans la vie quotidienne des populations (administration, information, culture) mais bâtit également un avenir linguistique autonome par l’utilisation d’un alphabet latin à l’école. Les générations futures doivent donc incarner la réalité d’une souveraineté culturelle. Le choix de l’alphabet latin au profit du russe évidemment, mais également de l’arabe ou du turc (latin remanié) n’est pas anodin puisqu’il ne découle d’aucune décision rationnelle au regard de l’origine des langues. Il est effectivement une démarche de rapprochement prudent vis-à-vis de l’occident. 



La langue officielle de la république du Kazakhstan 


1) La langue officielle de la république du Kazakhstan est la langue kazakhe. La langue officielle est la langue de l'administration de l'État, de la législation, de la procédure judiciaire et de la gestion des documents, qui opère dans tous les domaines des relations publiques dans l'État. 


2) Il est du devoir de chaque citoyen de la république du Kazakhstan de maîtriser la langue officielle, qui est le facteur le plus important dans la consolidation du peuple du Kazakhstan 


3) Le gouvernement, les autres organismes de l’État, les instances représentatives et exécutives locales sont dans l’obligation: 

- de développer au maximum la langue officielle de la république du Kazakhstan, en consolidant ainsi son pouvoir international; 

- de créer toutes les conditions organisationnelles nécessaires, matérielles et techniques, pour l'apprentissage non limité et libre de la langue officielle par tous les citoyens de la république du Kazakhstan; 

- de prêter assistance à la diaspora kazakhe dans le maintien et le développement de sa langue maternelle. 


Article 4 de la Constitution de la République du Kazakhstan 



…à la prise d’autonomie de fait 


L’invalidation effective de l’hypothèse selon laquelle la prise d’autonomie de l’Asie centrale se ferait de manière brusque à la chute de l’URSS n’est sans doute pas sans rapport avec la rémanence de la langue russe sur ce territoire. 

En premier lieu, le russe est toujours une langue officielle au Kazakhstan et au Kirghizistan et l’alphabet cyrilllique demeure d’usage au Tadjikistan et au Kirghizistan. Par ailleurs, au-delà des changements constitutionnels, peu d’actes politiques ont été dirigés vers une autonomie réelle du point de vue linguistique. D’aucuns penseraient que, calmée la fièvre de l’indépendance, la mise en oeuvre d’une autonomie culturelle réelle s’est avérée relativement difficile envers une puissance toujours très présente sur les domaines économique, politique, militaire… 

A l’inverse, le Kazakhstan, dont la prise de distance linguistique s’était faite plus timide, choisit sous l’égide du président Noursoultan Nazarbaïev (décret du 27 octobre 2025) de basculer de l’alphabet cyrillique à l’alphabet latin d’ici 2025. Malgré les importantes divergences qui l’opposent à son prédécesseur, Kassim-Jomart Tokaïev a poursuivi la mise en place d’un important dispositif d’adaptation progressive dans l’éducation, l’administration, la presse… Cette manœuvre survient trop tard vis-à-vis de l’indépendance pour ne pas être éminemment politique et directement liée à l’émancipation économique à laquelle le Kazakhstan parvient sans doute mieux que ses voisins. C’est dans cette même volonté que s’inscrit la démarche spontanée du président M. Tokaiev de parler kazakh lors de la conférence de presse commune avec le président russe M. Poutine, devant des diplomates russes visiblement désemparés. 



Benjamin GUERAUD, Emile CHAPUT

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